Drowning love? un joli bazar…

Résumé: Natsume, une jeune modèle en vogue, arrive de Tokyo pour s’installer avec ses parents à la campagne, dans une petite ville portuaire. Elle fait bientôt la connaissance de Koh/Koichiro, un jeune homme libre et fantasque dont la famille semble avoir prise sur les lieux, les gens et leur histoire.

Attirance mutuelle ou attraction fatale, les deux jeunes gens se livrent à un jeu de chassé croisé où se mêlent séduction et orgueil. Un grave incident va les séparer et c’est là qu’entre en scène Otomo, un autre prétendant…

Romance pour adolescents? Enième variation de drama ‘shojo’? Le film offre bien plus que ça et le spectateur, plutôt abusé par une bande annonce qui laisse croire à une histoire fort simple, est confronté à un récit sombre et triste mais riche en événements et rebondissements.

Au classique triangle amoureux vient s’ajouter une trame quasi mystique et dans ce conte en apparence trivial et moderne, on découvre un actant quelque peu inattendu : la colère des dieux.  

Un joli bazar, voilà ce qu’est ‘Drowning Love‘, le deuxième long métrage de Yuki Yamato, une jeune cinéaste de 24 ans. Un ‘live action’ basé sur un manga dont le dernier volet n’était pas encore publié quand le film est sorti en salles au Japon, en novembre 2016.

Bazar parce que le film a ses petit défauts. Certaines scènes semblent à mon avis disconnectées (par abus d’ellipses sans doute), et notamment dans les séquences finales le film hésite entre réalisme et symbolisme. On peut aussi reprocher à la réalisatrice d’avoir à la fois présupposé que le spectateur connaissait le manga dans ses moindres détails tout en offrant une adaptation disons… très ou trop personnelle?

S’il est probable -pour toutes les raisons précédemment citées- que le film n’entrera jamais dans la galerie des chefs-d’oeuvre impérissables du cinéma contemporain, c’est cependant un joli film, correction, un beau film qui dispose de quatre atouts majeurs:

  • La pellicule est de très grande qualité, le film a été tourné dans des décors naturels de toute beauté.
  • Quelques astuces de montage audacieuses qui renforcent la dimension dramatique de l’ensemble.
  • De jeunes acteurs très investis, communion et complicité parfaite entre Masaki Suda et Nana Komatsu.
  • Une bande son magnifique, en majeure partie écrite au piano par le compositeur  Hidekazu Sakamoto.
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Lecture et interprétation (spoilers modérés mais nombreux)

En première lecture, toute l’histoire de Drowning Love pourrait se résumer à un triangle amoureux bien classique: la belle (Natsume), séduite puis rejetée par un beau ténébreux un brin mauvais garçon (Koh) et le chevalier servant (Otomo) qui fait de son mieux pour satisfaire l’héroïne quand celle-ci demeure envers et contre tout irrémédiablement prisonnière d’un premier amour maudit, impossible.

On peut effectivement en rester là, si on visionne le film en finissant une partie de Backgammon et en faisant un certain nombre d’aller retours vers la cuisine pour agrémenter la séance d’encas divers. On reste alors perplexe devant l’attitude et le rôle des uns et des autres. Pourquoi Koh traite-t-il Natsume avec tant de dureté? Pourquoi la rejeter alors qu’elle a été agressée? Pourquoi demeurent-ils attirés l’un vers l’autre?

Le film propose un deuxième niveau de lecture, une deuxième trame qui vient se greffer à l’autre dans un enchevêtrement parfois délicat et complexe. Métaphoriquement, Koh est le ‘roi’, le maître des lieux, sa famille a longtemps régné sur ces terres sauvages (mer, montagne et forêt omniprésentes), arrive cette jeune fille qui a tout pour être une reine, la sienne. Tous deux sont dévorés par l’orgueil et la haute image qu’ils ont et d’eux-mêmes et de l’autre. Hubris !

Leur chassé-croisé amoureux tout en étant pétri de maladresses adolescentes relève également du défi et de la prédation. Tant au niveau des dialogues que du langage corporel, ce qui est exprimé dépasse bien souvent l’âge des personnages. Il y a une atmosphère sourde, chargée de sensualité, à peine voilée dans la scène du baiser comme lors d’un long échange dans un grenier.

Vers la sixième minute du film, il y a un court dialogue d’une importance capitale. Devant toute une assemblée, Natsume révèle que Koh s’est rendu au sanctuaire Shinto et s’est baigné tout près du Tori, en un lieu sacré et interdit ET il lui a expressément demandé de n’en parler à personne. Cette double transgression est le signal. La colère des dieux va s’abattre sur les deux jeunes gens et plus particulièrement sur Natsume.

Un homme va s’en prendre à elle et cet incident précipiter leur chute. Koh, le roi et protecteur, va s’avérer incapable de défendre Natsume. Ils vont s’en tenir rigueur mutuellement. Amertume de Natsume qui voyait en Koh un être invincible, déchéance de Koh qui voit en Natsume non plus la lumière mais l’astre maudit qui a quelque part provoqué sa chute.

Ainsi, dans ce conte, les rôles se comprennent mieux. En surface, Kana est l’habituelle entremetteuse qui cherche à rapprocher Koh et Natsume mais elle est en fait une aide, un adjuvant qui fera tout pour satisfaire le ‘roi’. Cette dimension explique son changement d’attitude envers Natsume, d’abord bienveillante avec celle qui doit être la promise , elle devient hostile une fois le ‘roi’ déchu, tombé de son piédestal, car pour Kana, la responsable de cette déchéance ne peut être que Natsume.

L’assaillant? En apparence un stalker et un pervers qui va jusqu’à agresser l’objet de son obsession. Il est en fait le démon, l’instrument de la colère des dieux, envoyé pour punir et châtier Natsume. Chacune des deux agressions se produit au moment du festival, une tradition ancienne, préparé depuis des générations par la famille de Koh. Lors de la deuxième attaque, il semble surgir de nulle part et porte un effrayant masque rouge.

Enfin, on s’explique mieux l’attitude de Koh qui éprouve envers Natsume un étrange mélange de ressentiment et de colère tout en restant attiré par elle. La jeune fille de son côté trouve un peu de réconfort dans l’amitié et le soutien que lui offre Otomo, interprété par un Daiki Shigeoka drôle et touchant mais elle ne peut se détacher de Koh…


Certaines MV (music video ) conçues par des fans offrent un aperçu du film à mon avis bien supérieur à la bande-annonce. Celle-ci est particulièrement réussie


Le festival du feu (spoilers en masse): cette longue séquence (plus de dix minutes) vers la fin du film en a désorienté plus d’un et elle a longtemps fait débat sur les forums de passionnés, chacun y allant de son explication. Il me semble pourtant qu’il est possible de percevoir que la réalisatrice a utilisé un procédé simple: briser la chronologie.

Au lieu de présenter la séquence événementielle sur un axe linéaire A,B,C…jusqu’à Z, elle s’est amusée à en modifier l’ordre. Les cauchemars de Natsume, son désir pour Koh, l’attaque du violeur -du démon- l’irruption de Koh qui vient à la rescousse, la mort de l’assaillant, tout s’entremêle dans un tourbillon d’images et de musique sur fond de festival et de dances païennes.

J’ai trouvé ce passage particulièrement réussi sur le plan visuel et dramatique même s’il est vrai qu’il peut s’avérer déroutant. Sur le plan de l’interprétation, c’est aussi un des moments forts du film avec un Masaki Suda sauvage et virevoltant et une Nana Komatsu qui montre combien elle a progressé pour exprimer des émotions complexes et à quel point elle peut être explosive…

Pris au piège, l’assaillant en vient à se suicider dans une dernière tentative pour ternir à jamais l’image de Natsume (imaginez les gros titres « le stalker se suicide près du corps de la starlette »). Comme elle s’est évanouie, Koh lui fait croire par l’entremise de la fidèle Kana qu’il a été tué de ses mains, tous deux vont faire disparaître toute trace, le corps et le couteau, au fond de l’océan…

Ainsi, aux yeux de Natsume, Koh redevient roi mais le prix à payer est fort: ils ne devront plus jamais se revoir. Libérée de toute menace, Natsume pourra devenir une célébrité et Koh demeurer le ‘maître’ sur son domaine, tous deux brilleront comme au tout début du récit, mais l’un sans l’autre…


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La dernière séquence (spoilers de grande magnitude): le temps a passé, Natsume est repartie pour Tokyo, elle est devenue une star du grand écran et lors d’un tournage, elle est emmenée sur un scooter tricycle…

…un tour de passe-passe, un flot de pétales qui s’envolent dans le vent et Koh apparaît aux commandes de l’engin! Certains verront dans ce gimmick un artifice de trop, je l’ai trouvé poétique et parfaitement intégré à l’esthétique globale du film.

Natsume plonge dans un rêve éveillé, elle s’imagine qu’IL est là et elle reprend avec lui les dialogues amoureux et puérils qu’ils avaient eu plus tôt dans l’histoire: mer ! ciel ! montagne ! forêt ! nuage ! … ils scandent à nouveau les mêmes mots, ceux qui définissent le royaume de Koh, ce royaume auquel elle se plaît à appartenir.

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C’est avec Drowning Love que je me suis rendu compte que Nana Komatsu, décidément délicieusement ‘old school’, jouait sur les registres de sa voix. Lors des échanges sérieux et parfois conflictuels que les deux jeunes gens peuvent avoir, elle s’exprime d’une voix plutôt grave et mature, mais dans cette dernière scène, on l’entend parler avec un timbre quasi enfantin, comme lorsqu’elle est arrivée, à l’âge de 15 ans. Habile et touchant.

Puis, le véhicule s’engouffre dans un tunnel, la lumière s’estompe, l’avenir s’assombrit et le réel va reprendre ses droits. Un court instant la caméra se centre sur le visage de Natsume, elle pleure. The End.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce petit film…


Bande annonce courte (teaser)

11 réflexions sur “Drowning love? un joli bazar…

  1. Mylène

    Bonjour, merci pour cet article ! Mais vous ne parlez pas du fait qu’à la fin du film, Natsume dit à Kou « Quand j’ai appris que tu étais mort, j’ai été soulagée ». Cela m’a beaucoup perturbée, surtout que la scène décomposée du viol m’avait déjà embrouillée. On ne sait rien de sa mort ? Vengeance des dieux ..?
    Merci de m’éclairer !

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      1. Mylène

        Je n’avais pas vu votre réponse.. Oui je crois que c’est cette scène, enfin celle au bord de la mer sur la moto. Ça fait longtemps, je ne me souviens plus des détails..! Mais dans ce cas pourquoi emploie-t-elle le « tu étais » ? Et si Kou n’est pas mort on ne sait plus rien de lui pour autant ?

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  2. vous avez dû voir une version avec des erreurs de traduction, elle s’adresse à lui comme s’il était là: ”コウちゃんの背中が見えるよ” (je peux voir ton dos) ”コウちゃんをずっと思い出すんだよ” (je me souviendrai toujours de toi) même chose pour Koh qui lui dit « 天下取るところを俺に見してくれや” (regarde moi/observe moi quand tu seras au top/au sommet–sous entendu de sa carrière). En revanche, contrairement au manga, c’est vrai qu’on ne sait pas ce qu’il devient, la seule info vient d’une scène précédente quand Kana informe Natsume qu’elle ne doit plus voir Koh…

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  3. Cette décision (de Koh) est sujette à interprétation mais c’est le prix à payer sans doute pour que chacun suive son chemin, elle peut devenir une star et lui continuer de « régner » sur son domaine, manière pour Koh de se « sacrifier » pour l’avenir de Natsume pensent certains. De toutes façons, sa présence à ses côtés aurait entrainé questions embarrassantes voire enquêtes. Si mes souvenirs sont bons (j’ai juste feuilleté/parcouru le manga), la fin est différente, ils se revoient des années plus tard….

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  4. HERINIRINA HASINA RAVELOARIHANTA

    je viens de le terminer et franchement je me sens confus , l ‘histoire est perturbant , et je n’ai jamais compris l’attitude de Koh qui la repousse sans arret depuis le début, il a descendu la gente féminine lol après j’ai vraiment apprécié le jeux d’acteurs de Masaki Suda , très charismatique et imposant , et la jolie Nana qui est au sommet de son art , en tous cas ca me soulage que Koh ne soit pas mort , j’aurais voulu avoir une suite , très bon article en tous cas

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