Kuru: étonnant Bogiwan !

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La trame du démon (spoilers modérés)

Hideki (Satoshi Tsumabuki) et Kana (Haru Kuroki) ont tout du jeune couple japonais idéal, période Showa. Merveilleux Papa qui alimente un blog public dans lequel chaque événement concernant leur enfant – la petite Chisa qui va naître, qui vient au monde et puis grandit- est consigné, commenté et illustré. Kana est douce et soumise, elle gère le foyer, fait la cuisine et sourit à tout le monde…

Hormis les trois premières minutes qui offrent une scène énigmatique et une séquence colorée dans le plus pur style Nakashima, le premier tiers du film ne ressemble guère à du Nakashima classique ! On a un bel album de famille façon drama, sauf que l’ensemble est quelque peu décalé et inquiétant.

Hideki est hanté par le souvenir confus et parcellaire d’une petite fille disparue dans la montagne quand il n’était lui-même qu’un petit garçon. On n’a retrouvé d’elle qu’une chaussure, rouge. Les anciens, les grands parents évoquent le nom de Bogiwan, une chose, un monstre terrifiant qui, dit-on, vient emporter les enfants méchants.

La belle famille de Kana est à l’image de l’étrange atmosphère qui imprègne leur demeure. Dans leurs gestes et leurs manières brutales, il y a comme une sorte de sauvagerie, une noirceur, une force primitive.

Ce faisant, au bureau, un collègue de Hideki, Takanashi, reçoit un visiteur venu s’enquérir de Chisa. Démarche troublante car non seulement celle-ci n’est pas encore née mais seuls Kana et Hideki savent que leur fille portera ce nom. Peu de temps après, Takanashi meurt dans des conditions atroces et inexplicables…

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Chisa naît. Une présence malfaisante envahit peu à peu le foyer. Tandis que le couple se délite, Kana sombre dans l’angoisse et la torpeur. Hideki se confie à un vieux camarade, Tsuda, qui lui présente Nozaki (Junichi Okada), un freelance spécialiste de l’occulte. Sa petite amie Makoto (Nana Komatsu), call-girl de son état, a le pouvoir de communiquer avec les fantômes, c’est une médium.

Immédiatement, celle-ci perçoit la menace qu’Hideki porte en lui et autour de lui, elle prend contact avec Kana et découvre la petite Chisa, alors âgée de deux ans. Mue par un instinct maternel, elle s’attache à cette enfant et décide de la protéger. A trois reprises, elle affronte la créature mais ses pouvoirs s’avèrent nettement insuffisants.

Entre en scène Kotoko (Takako Matsu), la soeur aînée de Makoto. De notoriété publique elle est l’entité spirituelle la plus puissante du Japon. Elle va mesurer la force de la chose, circonscrire son champ d’action et rassembler une armée de shamanes, de  prêtres bouddhistes et Shinto pour un exorcisme de grand ampleur dans le but de terrasser Bogiwan… 


La noirceur est en nous – 人間の心の闇 (spoilers modérés)

Invisible Bogiwan ! On ne le voit jamais vraiment, au mieux il prend l’apparence de ce qui hante sa cible. Ce qui importe n’est pas qui il est, ni ce à quoi il ressemble mais le pourquoi de ses assauts. Chaque faille, chaque fêlure, chaque faiblesse chez un être est pour lui une porte d’entrée. Seuls ceux dont l’âme est moins noire en réchapperont.

Une fois encore, Nakashima a pris un malin plaisir à jouer avec les règles et les sentiments du spectateur, le prenant à contrepied. Il ne se contente pas de décentrer le sujet en rendant le monstre accessoire, ce sont tous les poncifs du film d’horreur qui sont passés au broyeur.

Ainsi, après avoir bondi de son fauteuil suite à une scène choc ou frissonné en relevant un détail inquiétant dans une scène, on s’attend à être terrorisé lors du final, il n’en est rien. Nakashima en profite pour basculer dans la parodie, la surcharge voire le Grand Guignol jusqu’à provoquer le rire à grands coups d’humour…noir bien sûr.

Même si l’ensemble est lié et se tient, il y a pratiquement trois films dans Kuru. Le premier tiers est relativement conforme au genre, on frémit, on sent que quelque chose de terrible se prépare. Angoisse et mystère avec une seule voix narrative: Hideki !

La deuxième partie verse dans la mélancolie et la fragilité de l’existence humaine via le récit de Kana, à la fois point focal et deuxième voix narrative. On apprend bien des choses sur Hideki, sur Tsuda et sur elle-même: tout le poids d’une blessure ancienne qui explique certains événements antérieurs et à venir.

La troisième partie ou apothéose est on ne peut plus déroutante. La voix narrative (Nozaki cette fois) est fortement réduite, le rythme, le ton changent et le film s’emballe car cette section est portée par un trio agissant: Nozaki et les soeurs Higa.

Tout en se dirigeant vers la confrontation ultime avec la chose, déluge visuel et ouragan sonore, les vérités intimes de chacun des protagonistes  Nozaki, Makoto et Kotoko sont révélées. Après l’apocalypse, deux êtres seulement survivront…


Les actrices en première ligne (spoilers en hausse)

Même s’il occupe une place centrale sur l’affiche du film, Junichi Okada est relativement peu présent. Dès lors qu’il est introduit dans le récit, son personnage est un vecteur. Littéralement, le ‘chauffeur’ qui vous emmène d’un personnage à un autre, d’une séquence à une autre, dans sa voiture déglinguée qui empeste le tabac.

Son rôle monte en puissance dans la dernière partie: révélations sur un douloureux passé, sa face sombre et vulnérable et sa relation avec son étrange petite amie Makoto.

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Le couple Harata (Hideki et Kana) bénéficie d’un temps à l’écran conséquent. Satoshi Tsumabuki est très efficace dans le rôle du père, qu’il fantasme. S’il est un homme remarquable dans le virtuel, en réalité il délaisse et son épouse et son enfant.

Haru Kuroki est épatante. Comme dans la plupart de ses rôles, elle excelle à brosser le portrait d’une jeune femme fragile et confuse (voir ‘A bride for Rip Van Winkle‘ de Iwaï) victime du destin et des circonstances. Elle montre aussi qu’elle peut casser cette image: la scène de colère avec la petite Chisa est glaçante. Nakashima lui a offert un rôle fort.

Pour moi, la palme de l’interprétation revient cependant au duo/combo des soeurs Higa. Les fans des deux actrices seront sûrement déçus de ne pas les voir davantage. Elles interviennent épisodiquement en deuxième partie dans des scènes importantes mais souvent brèves. C’est dans le bouquet final des 40 dernières minutes qu’elles occupent l’écran.

Takako Matsu en grande prêtresse nous sert du ‘Confessions‘ puissance 2. Austère, glacée, forte et implacable, ses pouvoirs incommensurables vont venir à bout de l’indicible créature dans un gigantesque rituel d’exorcisme qui donne l’occasion à Nakashima de se lâcher complètement.

L’armada de prêtres, d’autels et de breloques convoquée pour vaincre le monstre est anéantie dans une orgie de destruction où le gore dispute sa place à la parodie (l’Exorciste entre autres). La magistrale Kotoko va clore les débats et dans un dernier effort, surhumain ou surnaturel, elle parvient à sauver sa jeune soeur, Makoto, devenue la cible de Bogiwan.

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Cette dernière est sans doute le personnage qui génère le plus d’empathie. Son désir d’enfant la pousse à chérir Chisa, à la défendre jusqu’à risquer sa vie. Courage, compassion, Makoto est spectaculaire de par son apparence et aussi par ce qu’elle fait ou tente d’accomplir.

Quelques confidences lors d’interviews ont permis d’apprendre que Nakashima avait poussé celle qui fut sa Kanako dans ses derniers retranchements. Il savait qu’elle avait ‘ça’ en elle et il l’a obtenu. Nana Komatsu offre quelques scènes d’une rare intensité. Elle submerge Nozaki/Okada de sa rage et de sa colère !

A quand un vrai grand premier rôle marquant pour capitaliser tout ça? Elle a un formidable potentiel de tragédienne…

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Choix de bandes annonces (elles sont nombreuses)

Bande annonce longue: 2’30


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2 réflexions sur “Kuru: étonnant Bogiwan !

    1. oui je l’ai vu au Japon, pas plus tard que la semaine dernière. Les avis sont très partagés comme avec presque tous ses films, seul « Confessions » fait un peu plus l’unanimité. Ca m’a bien plu, c’est dense !

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