
L’article qui suit est la traduction ou plutôt l’adaptation en français d’un essai publié le 28 décembre 2021 sur le site Psycho-Drama, il est le fruit de ma collaboration avec Kaye, le blogmestre de ce site dédié aux drama et films japonais. Article original en anglais: From fashion to film and the occasional series, Komatsu Nana conquers all.
Tout a commencé avec The World of Kanako en 2014. J’étais fan des films de Nakashima depuis Kamikaze Girls et j’avais hâte de voir son nouvel opus, en partie à cause de son prestigieux casting : Yakusho Koji, Odagiri Joe et Nakatani Miki, pour ne citer qu’eux. C’est un film difficile à regarder, qui vous plonge dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine et c’est probablement l’un des films les plus nihilistes jamais réalisés. Les visuels et le jeu exceptionnel des acteurs ne font que renforcer cette sensation. Komatsu Nana, nouvelle venue au cinéma, a alors attiré mon attention car, comme beaucoup, j’étais choqué et fasciné par le contraste entre son apparence de jeune fille modèle et les terribles méfaits commis par son personnage : l’œuvre d’une âme diabolique qui n’a aucune conscience du mal qu’elle fait.



« Qui est-elle ? » « D’où vient-elle ? » Des recherches rapides sur Internet à l’époque apportèrent quelques réponses : Nana Komatsu était encore à l’école, mais depuis plusieurs années elle était mannequin avec le soutien de Stardust Promotion, l’une des plus grandes agences du Japon. Elle avait également déjà fait des apparitions dans divers clips musicaux pour des artistes tels que Radwimps et Shiina Ringo (dernièrement dans Odoriko de Vaundy et August is my name de Qururi).
Mais alors que Komatsu se lançait dans une carrière d’actrice, elle a poursuivi sa trajectoire avec quelques autres rôles au cinéma -pour moi plutôt décevants- dans Close Range Love d’abord (2014), une comédie romantique très moyenne, puis dans Kurosaki-kun no Iinari ni Nante Naranai (2016), et le très connu Bakuman (2015), où son personnage ne fait que passer comme il le fait d’ailleurs dans le manga. Tout en faisant partie de son expérience, ils n’étaient malheureusement pas à la hauteur de ses brillants débuts.
Bien que les projets mentionnés plus haut n’aient pas été des plus extraordinaires, ils étaient néanmoins nécessaires en termes de construction de carrière. Ils ont contribué à créer une communauté de fans auprès du jeune public, ont généré de bonnes recettes et sans aucun doute ils ont constitué un changement radical en termes d’image.



Le monde de l’entertainment est impitoyable, après tout. Un excellent exemple se trouve dans un journal intime, dans lequel mon arrière-grand-père a laissé quelques notes sur un acteur français qui, à un moment donné dans les années 1930, était hué et insulté dans la rue parce qu’il jouait souvent le rôle du méchant. Le 21e siècle n’est pas nécessairement différent car il y a encore des gens qui croient que les personnages à l’écran et les comédiens qui les interprètent sont une seule et même personne. Par conséquent, jouer une ‘gentille’ dans ces films romantiques n’était pas du tout une mauvaise décision et une rupture totale avec la diabolique Kanako.
Ce fut une toute autre histoire dans le drama To Give a Dream (Wowow, 2015), également connu sous le nom de Yume wo Ataeru – qui est aussi l’une des rares apparitions de Nana Komatsu sur ce format (elle n’a pas joué dans une série depuis 2017). Sa performance était fascinante, à égalité avec celle de sa co-star Kikuchi Rinko, qui jouait le rôle de sa mère dans une histoire offrant une lecture plutôt féroce des mauvais côtés de l’industrie du divertissement.
une star en devenir



L’année 2016 allait changer la donne et porter ses fruits. Avec pas moins de six films, Komatsu Nana s’est essayée à la comédie en incarnant la geek Kaori dans Hero Mania Seikatsu, un véritable OVNI cinématographique, avant de devenir une hôtesse dans Destruction Babies (avec Yagira Yuya et Suda Masaki), un film connu pour sa violence visuelle. La romance fantastique My Tomorrow, Your Yesterday de Miki Takahiro, en revanche, la montrait dans le rôle de la douce et malheureuse Emi. Ce sont toutefois deux autres films qui eurent un impact plus important.
Elle décrocha un second rôle dans un projet cher à Martin Scorsese: Silence. Bien qu’elle n’ait que quelques scènes et un temps d’écran limité – à peu près le même que celui de Liam Neeson – elle a fait avec ce qu’on lui a donné pour laisser son empreinte face à de grandes stars occidentales comme Andrew Garfield, qui jouait le père Rodrigues.

Avec l’adaptation de Drowning Love – qui circule également sous son titre japonais original Oboreru Knife – son nom apparaît pour la première fois en tête des crédits du film et de l’affiche. Mais ce n’est pas tout, car cette sombre romance avait de nombreux atouts: une pellicule superbe, une excellente bande-son, un sous-texte qui jouait avec des croyances païennes anciennes et obscures, et l’incroyable alchimie de ses deux protagonistes, Komatsu Nana et Suda Masaki. La jeune réalisatrice Yamato Yuki a donné à ses acteurs l’environnement adéquat pour qu’ils puissent s’épanouir et déployer une large gamme d’émotions.


Poursuivant son habitude d’alterner entre des œuvres plus grand public et des projets indépendants, l’actrice est également apparue dans There Is No Tomorrow, un court-métrage du photographe français Julien Birban Lévy. Celle qui a un jour avoué ne pas aimer parler beaucoup y envoyait un monologue de 10′ !
Magazines, apparitions télévisées, premières de films, elle était partout, et peut-être était-ce trop pour certains. L’année 2016 n’a pas été de tout repos. Nana Komatsu a été mise au centre d’un scandale basé sur des rumeurs et des ragots. Le torrent de haine et d’insultes qui en résulta a conduit l’actrice à fermer son blog et sa section de commentaires Instagram. Depuis, elle a encore limité son utilisation de l’internet et des réseaux sociaux, n’alimentant qu’occasionnellement son seul et unique compte officiel, Konichan7, et ses 2,5 millions de followers avec diverses photos, pas nécessairement liées à sa carrière.
modèle et actrice







Nana Komatsu n’avait que 19 ans lorsque Chanel a fait d’elle une ambassadrice (House Ambassador) en 2015. Comme il s’agit du rang le plus élevé dans la liste des distinctions honorifiques de Chanel, cela signifiait que la jeune mannequin pouvait représenter la marque lors d’événements officiels, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises.
Dans le monde de la mode, ses choix, ses apparitions et ses looks imitent en quelque sorte son parcours cinématographique ou peut-être est-ce l’inverse. Ses fonctions chez Chanel l’amènent souvent à participer à des séances de photos pour les plus grands magazines, mais elle fait également la couverture de nombreux petits magazines indépendants, participe à une séance de photos pour Tokyo Weekender (un média lu principalement par des résidents étrangers anglophones) ou encore pour le magazine indonésien branché Dew.
De Ninagawa Mika (Japon) à Harley Weir (Angleterre) – tous deux de renommée mondiale – elle a travaillé avec d’innombrables photographes lors de séances photo qui présentent toutes les nuances possibles de Komatsu Nana, qu’il s’agisse de la girl-next-door dans des vêtements simples ou de la reine de beauté, de la diva dans une robe de luxe: un caméléon de styles !
‘Le rythme propre au tournage d’un film lui convient car il lui permet de prendre le temps de créer les émotions pour un rôle. Parce qu’ils sont très occupés et ont des emplois du temps différents, de nombreux acteurs communiquent peu avec le staff (…) Komatsu Nana en revanche apprécie d’écouter ceux qui ont de l’expérience. Il est peut-être un peu facile de résumer les choses ainsi, mais elle ne considère pas son travail comme un simple business. Je pense qu’elle y met tout son cœur.’
Sekiguchi Yuko, journaliste, ancienne rédactrice en chef de Kinema Junpo/Variety Japan
« Elle a de l’esprit », a déclaré le réalisateur Bernard Rose, et la seule pièce manquante dans sa filmographie déjà longue est probablement une véritable comédie. Jusqu’à présent, les cinéphiles n’ont vu d’elle que des échantillons d’humour facétieux, parfois excentrique, alors si l’on veut voir Nana Komatsu en mode totalement ludique, le dernier drama dans lequel elle a joué – les deux parties de Thrill: The Red Chapter/The Black Chapter – diffusé par la NHK en 2017 – est un incontournable.

Il est cependant difficile de définir son style d’interprétation. Il y a sans aucun doute une base old school, où la nuance, les expressions faciales – en particulier les mouvements des yeux – et le langage corporel l’emportent sur le verbe, mais elle a aussi cette capacité à être explosive qui a impressionné le réalisateur Kakimoto Kensaku lors du tournage de Parasite in Love (avec Hayashi Kento). Le jeune cinéaste a également mentionné qu’elle était extrêmement réactive, même après un bref échange. Cela fait écho aux paroles de Nakashima Tetsuya, il y a quelques années, qui expliquait que même si elle n’avait aucune idée de ce qu’était le métier d’acteur à l’époque, elle était flexible et spontanée: tout venait naturellement.
Je pense que la dimension intuitive, presque instinctive, de son approche du jeu d’acteur était en quelque sorte déjà présente dans des documents antérieurs à Kanako, comme Shabondama, un petit conte à cheval entre le format court-métrage et le clip musical, qu’elle a tourné à l’âge de 14 ans. C’est encore plus évident dans Tadaima, un court-métrage de 2013, sur une adolescente qui veut retourner à l’endroit où sa maison et sa famille ont été emportées par le tsunami de 2011.
En gagnant de l’expérience et en aimant le métier, vient le sens du dévouement. J’ai eu la chance de dialoguer en ligne avec le réalisateur Edmund Yeo (Moonlight Shadow) qui loue son engagement et sa présence encourageante tout au long du tournage.
Komatsu Nana considère le plateau de tournage comme un véritable foyer : elle dialogue avec le staff, aide les techniciens à trier les câbles, accompagne les responsables des costumes pour leur donner un coup de main et, surtout les jours de grand froid, elle va jusqu’à s’occuper de la restauration et du service des repas.
‘Elle communiquait avec tous les membres du staff sans faire de distinction. Quand je pense à Nana-chan, je la vois toujours sur le plateau, entourée de gens et aimée de tous.’
Hayashi Kento, co-star de Parasite in Love (TheTV.jp)
Un avenir radieux

2021: il y a si longtemps qu’elle a été repérée par des agents alors qu’elle faisait du shopping avec sa mère à Shinjuku, Tokyo. L’adolescente mannequin qui est apparue sur les pages de catalogues, comme Nico Petit – sa première séance photo en 2008 – ou Haco, est devenue une invitée régulière de Vogue, Elle et Madame Figaro. Elle a fait la couverture de plus de 150 magazines de divertissement ou de mode au Japon et dans plusieurs autres pays d’Asie. Ses voyages réguliers en Europe pour Chanel lui ont également permis de figurer dans des éditoriaux au Royaume-Uni, en France et en Italie, élargissant ainsi sa base essentiellement panasiatique. Komatsu Nana est une icône de la mode.
Pendant des années, et ce jusqu’à environ 2019, l’industrie cinématographique l’a principalement vue comme une curieuse débutante, bien que ce ne soit désormais plus le cas. Après avoir joué dans deux adaptations de manga en 2018, Kids on the slope (aux côtés de Nakagawa Taishi et Chinen Yuri) puis After the rain (Koi Ame), elle a commencé à privilégier des œuvres basées sur des scénarios originaux ou des romans.


Une série de prix et de nominations – deux fois de suite aux ‘Oscars’ japonais – et des films forts comme It Comes (Kuru, Nakashima à nouveau en 2018) ou Samurai Marathon (2019), l’excellent box-office de Tapestry (Ito, avec Suda Masaki en 2020) ainsi que diverses incursions dans le cinéma d’auteur ou indépendant comme Closed Ward (Family of Strangers) et Farewell Song (Sayonara Kuchibiru), tous deux de 2019, sans oublier Moonlight Shadow (2021), ont radicalement changé la donne.
Ses récents choix cinématographiques ont renforcé sa position d’actrice polyvalente et compétente, capable de jouer à peu près tous les rôles. Non seulement elle est devenue une – sinon LA – spécialiste lorsqu’il s’agit d’incarner des personnages décalés (dans Sakura, aux côtés de Kitamura Takumi et Yoshizawa Ryo ; Parasite in Love), mais elle a également prouvé qu’elle pouvait incarner des personnes ordinaires auxquelles le public peut s’identifier, confrontées aux difficultés de la vie quotidienne (Tapestry/Ito) ou à la perte et au chagrin (Moonlight Shadow). La critique lui a emboîté le pas et les éloges n’ont pas manqué.



Sa double carrière et son statut double d’actrice et de modèle n’ont rien changé à la charmante figure publique qu’elle est. Que ce soit dans une émission de télévision ou une interview, Komatsu Nana est toujours celle que les gens ont découverte à la fin des années 2010. Elle a grandi et est sans doute plus bavarde, plus détendue et plus à l’aise qu’il y a quelques années, mais elle reste l’anti-diva absolue qu’elle a toujours été : amicale, franche, humble, nuancée, presque réservée parfois mais avec cette touche d’humour qui pimente le tout.
Lorsque l’annonce de son mariage avec son partenaire de longue date à l’écran, Suda Masaki, a été faite en novembre 2021, la plupart des fans étaient ravis, bien que certains aient exprimé des inquiétudes – les souvenirs du retrait de Miyazaki Aoi ont sûrement déclenché des alarmes pour les plus âgés. Il est vrai que les gens évoluent et changent et que personne ne peut prédire l’avenir, mais il me semble que l’engagement intense de Nana Komatsu dans le métier d’actrice implique une continuation. Après tout, tous deux n’ont-ils pas dit qu’ils étaient heureux de fonder une famille et de continuer à travailler en même temps ? Ce qui les a réunis leur appartient et n’appartient qu’à eux. Au moins d’un point de vue artistique, ils ont l’air d’être des âmes sœurs, se soutenant et se renforçant mutuellement dans leurs projets professionnels.
2022: de nouveau en haut de l’affiche pour The Last Ten Years (Yomei 10 Nen) – sorti dans les salles japonaises le 4 mars dernier- de Fujii Michihito, peut-être le réalisateur le plus tendance de la nouvelle génération de cinéastes japonais, l’actrice a de nouveau connu le succès. Hors anime, Yomei 10 Nen est à ce jour le film japonais qui a réalisé le meilleur box-office cette année…
Auteur: Nill Newt – Co-auteur et éditeur: ajouts, corrections et reformulations (et mise en page sur l’article original en anglais) Kaye pour Psycho-Drama: Twitter – Facebook – Site