HaruReo chez le Psy

Psycho-Cinematography est un blog WordPress en anglais centré sur le cinéma japonais tout à fait unique en son genre. « Le Cinéma Japonais vu de biais » lit-on sur l’entête du site ! Ce biais est celui qu’introduit P-J Van Haecke, le blogmestre, dans chacune de ses critiques en y posant le regard particulier que lui confère son expérience professionnelle de psychologue clinicien.

Avec son aimable autorisation, N.K. France/Nana Komatsu Films proposera régulièrement à ses lecteurs et visiteurs la traduction partielle (sans par exemple les nombreuses notes qui accompagnent les articles) des critiques d’une douzaine de films dans lesquels Komatsu Nana était à l’affiche. Aujourd’hui Farewell Song (2019) de Akihiko Shiota: revue originale en anglais.

Farewell Song par Psycho Cinematography

Haru (Mugi Kadowaki) et Reo (Nana Komatsu) constituent le duo Haruleo. Alors que pendant longtemps tout se passait bien entre elles, leur relation a tourné au vinaigre. Ne supportant plus la présence de l’autre, elles expriment toutes deux le désir de dissoudre le groupe mais Shima (Ryo Narita), leur roadie, les convainc de ne se séparer qu’après avoir terminé la tournée à Hakodate.

Farewell Song est un film qui explore comment la dimension du défaut de communication rend problématique la possibilité d’une rencontre intersubjective et comment le non-dit, en demeurant non verbalisé, pervertit les interactions entre les sujets. Akihito Shiota explore ces deux aspects d’une manière magistrale dans la relation entre Haru et Leo.

Dès le début du film, il est évident que leur relation est empreinte d’une certaine agressivité, une agressivité dirigée contre la présence de l’autre en tant que telle (par exemple ignorer l’autre, ne pas s’adresser à l’autre de manière directe, se plaindre de l’autre, rivaliser pour être la première aux toilettes, etc…). Pour l’une comme pour l’autre, cette agressivité relationnelle est tributaire d’une blessure imaginaire et de l’incapacité à mettre en signifiants ce qu’elles ne peuvent dire ainsi que l’incapacité à adresser ces mots à l’autre en tant que sujet.

Avant d’explorer la blessure imaginaire de Haru et de Leo, il faut souligner que leur agressivité relationnelle n’est pas dépourvue de fonction. En fait, elle doit être comprise comme une forme d’acting-out (ndt: mécanisme de défense et d’auto-contrôle). Les actes et les discours agressifs ne sont pas destinés à blesser l’Autre en tant que tel, mais à le forcer à répondre en tant que sujet et à entendre ce que le sujet est incapable de dire. Mais, alors que cette agression vise à mettre en jeu le sujet de l’Autre, le seul effet de cette agression est d’inciter à davantage d’agression. En d’autres termes, Leo et Haru ne parviennent pas à provoquer l’Autre en tant que sujet. Au contraire, elles enflamment l’autre en tant qu’ego, cet ego qui ne veut pas parler.

Quelles sont donc les blessures imaginaires que Leo et Haru sont incapables de se dire l’une à l’autre ? La blessure imaginaire de Haru est une blessure romantique, une blessure infligée par la non-réponse de l’autre aimée (c’est-à-dire Leo), par le fait que cet autre ne perçoit pas qu’elle l’aime. Nous appellerons cette blessure la blessure de l’amour non partagé.

La blessure d’amour non réciproque de Haru est due à une mauvaise interprétation de l’attitude de Leo lors de leur première rencontre. A tort, Haru a cru que Leo, en tant qu’amante, la voyait comme sa bien-aimée. En d’autres termes, elle a discerné dans le comportement de Leo un signe de son amour ainsi qu’une invitation à se réaliser en tant qu’amante de Leo. Pourtant, Haru, blessée imaginairement par ‘l’échec‘ de Leo à la rencontrer en tant qu’amante, n’avoue jamais son amour pour elle de manière directe. Son amour pour Leo est, en d’autres termes, son non-dit.

Haru tente d’avouer son amour de manière indirecte. Il est facile de se rendre compte que ses paroles de chansons, évocatrices et touchantes (signées Aimyon et Motohiro Hata) et les signaux qu’elle adresse au public sont -et c’est essentiel- en fait adressées à Leo en tant qu’Autre/sujet. Ces paroles sont une tentative détournée pour faire comprendre à Leo qu’elle l’aime. Hélas Leo ne semble pas se rendre compte qu’elle chante la déclaration d’amour de Haru ainsi qu’un compte-rendu du trouble subjectif que provoque chez Leo l’échec de sa rencontre avec elle en tant qu’amante.

La ‘blessure’ de Leo n’est pas strictement due à un échec romantique, elle est induite par la dynamique même entre les médias et le groupe. Ils célèbrent Haru comme étant la clé du succès d’Haruleo et traitent Leo comme si elle n’était qu’un simple accessoire. Cette mise à l’écart constitue une blessure imaginaire dans la mesure où elle renforce le manque d’estime de soi qui la caractérise. La souffrance liée à ce manque d’estime de soi constitue pour elle un élément du non-dit.

C’est en fait ce manque d’estime de soi qui anime tout le comportement de Leo. Si elle se montre froide et agressive envers Haru, ce n’est pas seulement pour signaler son incapacité à exprimer sa souffrance, mais aussi parce que Haru, de par sa présence, ne cesse de la confronter à ses propres sentiments d’inadéquation. Les escapades sexuelles de Leo ne visent pas uniquement à susciter la réponse de l’Autre (c’est-à-dire Haru), mais sont aussi des tentatives pour étouffer son sentiment d’infériorité et se sentir désirée/aimée. Ce sentiment d’infériorité rend Leo incapable d’approcher Shima d’une manière ouvertement romantique et la persuade, allant ainsi à l’encontre de son propre désir, de soutenir les sentiments de Shima pour Haru.    

La beauté triste et poignante de Farewell Song réside dans le fait que Haru et Leo, tout en essayant à leur manière d’atteindre l’Autre comme sujet, ne parviennent jamais vraiment à se rencontrer en tant que tels. Même dans les rares cas où l’une d’elles, par la parole ou par un acte, fait directement appel à l’Autre en tant que sujet, le non-dit, ce non-dit des blessures imaginaires, fait que l’Autre ne parvient pas à rencontrer le sujet qui l’attire de par son propre sujet. Toutefois, Shiota termine son récit sur une note d’espoir, laissant subtilement entendre qu’une rencontre romantique intersubjective entre elles est peut-être de l’ordre du possible.

La composition de Farewell Song se distingue par sa simplicité en offrant un mélange sobre de plans statiques, de travellings et de mouvements spatiaux. Cette simplicité cinématographique, utilisée par Shiota afin de se focaliser sur les expressions verbales et non verbales et les mettre en valeur, lui permet d’explorer, de manière très nuancée, le déroulement des relations entre Haru, Leo et Shima et de montrer comment l’évolution des relations affecte les différents sujets. Cependant, la composition de Farewell Song comporte un élément de décoration cinématographique : les plans sans son où apparaissent des fragments des paroles de Haru. Ces instants paisibles confrontent le spectateur au fait que le trouble subjectif de Haru, un trouble lié à Leo, dicte sa créativité dans l’écriture.

En choisissant de structurer son récit de manière simple et directe, Shiota confie bien évidemment à Mugi Kadowaki et Nana Komatsu la responsabilité de rendre crédible son exploration des troubles relationnels et subjectifs. Les deux actrices prouvent, en offrant des performances merveilleusement subtiles, qu’elles sont plus qu’à la hauteur de la tâche. En vérité, le film ne peut devenir aussi plaisant et captivant que grâce à la façon extraordinaire dont les deux actrices donnent vie à la lutte subjective de leurs personnages et les émotions sont toujours authentiques, qu’elles soient exprimées par la parole ou par le chant.  

Farewell Song est un récit véritablement émouvant qui explore de manière très nuancée mais détaillée la difficulté pour les sujets de rencontrer l’Autre, l’Autre aimé, en tant que sujet. Ce qui rend le récit de Shiota si satisfaisant et si prenant, ce n’est pas tant le scénario bien écrit que la façon dont les interprétations subtiles et naturelles de Mugi Kadowaki et Nana Komatsu donnent vie à ce drame romantique du non-dit. Heureusement, si Farewell Song est, au fond, le drame d’une rencontre amoureuse ratée, le bouquet final de Shiota se termine sur une note positive (…)    


Article Complet (en anglais)

Vous y trouverez plusieurs annexes, des notes qui peuvent vous en dire davantage sur le plan psychologique et du point de vue narratif. N’hésitez pas à les consulter ! Vous pouvez aussi demander des éclaircissements dans les commentaires, j’y répondrai à la lumière de ces notes…



Remerciements à P-J Van Haecke.

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