Depuis bien des années déjà Niels Matthijs propose compte-rendus et critiques pour de nombreux films japonais sur son blog: Onderhond. Avec son aimable autorisation voici la traduction en français de sa critique enthousiaste de It Comes/Kuru, un film de Tetsuya Nakashima sorti en décembre 2018. Article original en anglais: It Comes.
Critique sans spoilers: Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de It Comes [Kuru] de Tetsuya Nakashima, j’ai essayé de ne pas trop m’emballer. Ce n’est pas aussi facile qu’il y paraît, car Nakashima n’a pas encore sorti un seul mauvais film et ceux-ci montrent une nette progression en termes de qualité. Les choses n’ont pas été plus faciles lorsque j’ai appris que It Comes serait un film d’horreur, un genre que j’affectionne particulièrement. Puis est venue l’inévitable attente, qui s’est avérée encore plus longue que je ne l’avais craint. J’ai finalement pu voir le dernier film de Nakashima et, heureusement, il ne m’a pas déçu le moins du monde.
Dans toutes les religions, le diable, le démon, les diverses incarnations ou représentations du Mal, ont tous quelque chose en commun: la conscience du mal qu’ils font. Ce n’est pas le cas de Kanako, une adolescente dénuée de tout sens moral, de remords, sans aucune notion du bien et du mal.
Policier déchu, mari violent et alcoolique, Showa Fujishima (l’excellent Koji Yakusho) part à la recherche de sa fille, à la demande de son ex-femme. Kanako a disparu et la quête du père dans des milieux interlopes devient une descente aux enfers. En découvrant peu à peu le monstre qu’est sa fille, il sera révélé à lui-même. Non seulement ils sont du même sang mais c’est un événement bien précis qui a ôté à Alice/Kanako son innocence et l’a précipitée dans un puits sans fond.
Kanako n’est en fait qu’une représentation, un condensé des pires tares adolescentes. Le mal qu’elle génére, les souffrances qu’elle inflige aux autres ou plutôt qu’elle fait infliger aux autres, en parfaite manipulatrice, tout cela elle le fait simplement parce qu’elle peut le faire et parce que c’est ‘fun’, rien d’autre ! Comme le lui dit une enseignante, elle n’est qu’une ‘coquille vide’ qui ressemble étrangement à ceux et celles de la rubrique faits divers.
Retour sur Kuru/It comes, un film de Tetsuya Nakashima (2018) avec Haru Kuroki (Kana), Satoshi Tsumabuki (Hideki), Nana Komatsu (Makoto), Junichi Okada (Nozaki) et Takako Matsu (Kotoko). Billet signé Hervé Lacrampe, confrère, ami et blogmestre de AA (Asie, Architecture…) avec son aimable autorisation bien sûr.
Tetsuya Nakashima n’est peut être pas encore très connu du grand public occidental mais au Japon et dans les festivals ses films font mouche. De Souvenirs de Matsuko à The World of Kanako en passant par Confessions, son style s’est affirmé : coloré, déjanté, parfois psychédélique mais aussi noir, clinique. Au travers d’histoires originales ou tirées de manga, romans, il offre des films coup de poing autour de la vengeance (Confessions), de drames humains (Souvenirs de Matsuko), de manipulation (The World of Kanako) magnifiés par un montage d’orfèvre et un sous texte riche. C’est avec beaucoup de curiosité et d’attente que son nouveau film Kuru a été appréhendé.
Hideki est un homme à qui tout sourit. Dans son travail, il réussit et fait l’admiration de ses collègues et amis. Son mariage avec Kana a été somptueux et leur jeune nouveau-née le comble. Preuve de ce bonheur, son blog qu’il tient quotidiennement et qu’il nourrit de sa vie de jeune papa. Mais les apparences cachent de lourds secrets. Et quand une force étrange remontant du passé jette le trouble dans la vie d’Hideki, celui-ci sombre peu à peu dans la peur. Le couple semble au bord de l’effondrement alors que des événement surnaturels menacent leur fille.
Kuru c’est d’abord l’intrusion de Nakashima dans le genre horrifique car comme l’indiquent les bandes annonces et la première scène du film, nous allons plonger dans l’épouvante. Mais pas à la mode Hollywood (malgré ce que peut laisser supposer le titre anglais du film It Comes). Nous sommes totalement dans un univers asiatique où la menace est longtemps suggérée : des ombres, des regards, des sons. L’ensemble est teinté de shintoïsme, de spiritualité. Mais à la différence de nombreux films d’horreurs japonais, Nakashima y rajoute sa touche.
La sortie de Kuru/It comes en DVD et Bluray au Japon le 3 juillet est l’occasion de présenter un article de fond très intéressant publié en mai dernier par Filmed in Ether sur deux films qui n’ont apparemment pas grand chose en commun. L’un est un Kore Eda classique dans la forme mais avec une dimension sociale plus marquée que dans ses autres films, l’autre, signé Nakashima, est un film d’horreur plutôt décalé.
Cependant, Natalie NG compare les deux oeuvres en s’attachant au thème de la parentalité et aussi bien dans Shoplifters que dans Kuru, les figures maternelles et paternelles, avérées ou potentielles, sont bien plus nombreuses que les enfants. Voici donc la traduction de cet essai passionnant et pertinent.
Traducteur, c’est un métier et ce n’est pas le mien. A défaut d’être un modèle de rendu stylistique, ce travail est fidèle aux idées de l’auteur.
Tout comme dans l’original en langue anglaise, ce qui suit contient de nombreux spoilers pour les deux films.
Remerciements à l’auteur,Natalie NG, ainsi qu’à Hieu Chau, éditeur en chef et fondateur de Filmed in Ether, pour leur aimable autorisation.
A première vue, la Palme D’or de Hirokazu Kore Eda (Shoplifters – Une affaire de famille) et le blockbuster horrifique de Tetsuya Nakashima (It Comes – Kuru) semblent avoir très peu de choses en commun si ce n’est leur sortie en 2018. Le très estimé drame de Kore Eda est un film délicat lequel, avec la subtilité propre au réalisateur, sa fascination de longue date pour les relations familiales, explore la dynamique d’une famille pauvre et atypique. Le sanglant film d’horreur de Nakashima porte quant à lui le style frénétique caractéristique du cinéaste et livre le récit d’une jeune famille hantée par une force mystérieuse et démoniaque.
Pourtant, bien qu’appartenant à des genres différents, Shoplifters et It Comes partagent bon nombre d’idées similaires et s’interrogent sur la nature même de la parentalité. Qu’est-ce qui fait un bon parent? Qu’est-ce qui fait d’une famille une famille? La société permet-elle aux familles hors normes de s’épanouir ? Les deux films s’accordent apparemment pour dire que la vraie parentalité n’est pas un droit biologique donné mais plutôt quelque chose qui s’acquiert et se mérite.
Pour autant les deux oeuvres n’offrent pas non plus de réponses claires sur ce qui fait un bon parent. Au lieu de cela, elles mettent le spectateur au défi pour qu’il prenne en compte les difficultés d’être parent, les constructions sociales de la cellule parentale et familiale et ce que l’éducation d’un enfant peut révéler à propos de soi-même.
Amour versus Besoins
La hiérarchie des besoins de Maslow est l’une des théories les plus connues utilisée pour déterminer quels principes affectent le comportement, ce qui motive les gens et en substance ce qui rend les êtres humains heureux. Les niveaux inférieurs de cette hiérarchie sont constitués des besoins les plus fondamentaux: besoins physiologiques tels que nourriture, eau et chaleur, suivis de la protection et de la sécurité. Ces deux niveaux étant atteints, les deux suivants sont d’ordre psychologique et consistent en besoins d’amour, d’appartenance et d’estime.
Bien que la hiérarchie de Maslow se rapporte au bonheur d’une personne, elle peut également servir de point de référence pour déterminer ce dont un enfant a besoin pour grandir. En formulant les choses de cette manière, nous devons nous demander si l’exigence la plus élémentaire pour être parent est la capacité de pourvoir aux besoins les plus basiques des enfants, tels que la nourriture et l’eau, de leur offrir un toit. Et si tel est le cas, cela légitime-t-il le statut de parent simplement parce que ces besoins physiologiques ont été satisfaits ?